Dans les sports d’opposition qu’il s’agisse d’un affrontement collectif ou duel le concept d’opportunité est central.
Fixer ou déborder la défense, prendre à contre pieds l’adversaire et finalement utiliser l’espace ainsi créer pour infiltrer un joueur lancé ou démarqué, ou envoyer la balle du côté inaccessible du court de tennis pour l’adversaire qui ayant réagi à une feinte démarre sa course d’élan à contre temps…

Au tennis de table tant que les modalités des échanges restent en phase, synchrones, il n’y a pas opportunité. Mais lorsque les modalités des échanges se densifient et lorsque la cadence s’accélère certains disent que l’on parvient à une crise de temps.

Dans les sports de combat comme le Judo cette dimension est parfois négligée car la distance séparant les adversaires est moindre ce qui tend à masquer l’importance cruciale du rapport espace temps du point de vue de l’efficacité.
Cependant lorsqu’on prête attention aux consignes et interventions des experts la distance, le timing, le rythme, le décalage la fixation de l’adversaire sont les mots les plus fréquents.
Ce phénomène de rupture du point de vue de l’espace ou du temps qui permet de saisir ou de créer l’opportunité au sein du rapport de force s’exprime de façon spécifique dans les différentes activités sportives.
C’est un savoir faire dont le niveau de maîtrise chez les plus grands champions confère aux sports sa beauté, son intelligence, sa richesse.
Lorsque Zinedine ZIDANE réussit un contrôle du bout du pieds au milieu de trois défenseurs et que l’instant d’après il a déjà glissé le ballon dans l’espace libre ou il a perçu que son coéquipier s’était engouffré, alors le public se lève, un frisson circule dans l’assistance et le sport devient grand!

Mais pour les spécialistes et experts de ces activités sportives la question centrale depuis longtemps déjà c’est : COMMENT ÇA MARCHE ?

La relation TIMING DISTANCE :

Le judo fait partie des activités sportives de la catégorie des duels. Les théoriciens du sport retiennent comme objet d’étude la relation motrice, celle du couple en interaction (ou en opposition).
Une des caractéristique fondamentale du duel c’est l’organisation du rapport de force entre  les opposants. En judo  ce rapport de force est souvent décrit, analysé à partir des systèmes de garde. En installant mon Kumi Kata je vais essayer de diminuer ou de neutraliser le point fort de l’adversaire (par exemple en l’empêchant de saisir correctement le col de mon judogi) tout en imposant mon point fort (en plaçant mes mains là où je le souhaite).

Mais ce niveau d’analyse est très mécanique et incomplet…

D’autres spécialités sportives comme le Tennis, le Tennis de table, le Rugby, le Kendo, nous procurent aussi le fruit de leurs réflexions sur cette relation motrice du couple en interaction.
Par exemple au Tennis de table une première étape fondamentale de l’apprentissage consiste à se faire des passes avec le partenaire. Il s’agit alors d’un échange où les deux joueurs vont chercher à s’harmoniser, à être ensemble, concordant du point de vue du rythme. Les variations de directions (trajectoires) et de distances de jeu seront très modérées dans un premier temps afin que l’échange de balles puisse durer.
Une fois que cette compétence fondamentale est à peu près acquise, les joueurs vont apprendre à se décaler, à rompre la cadence par un contre pieds ou un contre temps.
Ils vont alors brusquement passer d’une rythme concordant à un rythme discordant, souvent associé à une rupture de la distance accompagnée parfois d’un changement de direction.

Pour les judokas aussi la relation espace – temps  est déterminante: la distance et le  timing sont 2 facteurs incontournables de la performance.

Votre adversaire est puissant à la garde : changer souvent la distance il aura beaucoup de mal à utiliser sa force pour vous fixer.
Votre adversaire est adroit, précis dans ses mouvements : essayer de l’empêcher de travailler à son rythme habituel ; provoquer des séquences courtes d’accélération ; imposer un faux rythme au combat…
Inversement, rechercher quel que soit l’adversaire, à influencer le rythme des échanges en votre faveur !..
Cette faculté de jouer habilement avec le timing et la distance c’est aussi ce qui va permettre d’élever son niveau de jeu en cultivant les attaques indirectes. C’est ce que démontrent les meilleurs judokas lorsqu’ils provoquent la réaction de l’adversaire par une feinte. En créant cet instant magique où l’attention adverse et prise à revers ou à contre pieds…
A un certain niveau de maîtrise c’est devenu très intuitif. Le judoka de haut niveau comme l’expert fonctionne avec sa perception, avec son intuition. Le timing et la distance représente la sauce, le liant de la relation TORI / UKE. Cela s’apparente presque à une vibration comparable au feeling dont parlent les musiciens lorsqu’ils jouent parfaitement ensembles au sein d’une formation. C’est aussi sur la base de  ces éléments structurants qu’ils vont s’écarter de l’unité lors du chorus, s’élevant dans une distorsion singulière et improvisée, rendue possible par l’intériorisation profonde de ses deux paramètres. Plus la structure est forte et plus je pourrais m’en écarter…

L’expression japonaise Ma-ai : exprime la distance harmonieuse, l’intervalle qui relie à la fois du point de vue de l’espace et du temps. Selon la distance la relation change (une relation proche sera plus contraignante, une relation éloignée sera plus libre).
En Judo, on peut distinguer les 3 distances : corps à corps ; mi distance ; grande distance.
Hyoshi : chacun possède un rythme qui lui est propre et qui est lié à sa propre physiologie (rythme cardiaque et respiratoire). La relation entre le rythme et le contrôle de la respiration est donc très importante.

… Chaque judoka a un rythme préférentiel de travail. On doit donc apprendre à s’adapter, à s’harmoniser avec le rythme de travail des différents adversaires, pour être capable ensuite de mieux casser cette harmonie, en accélérant ou en se décalant.
C’est la relation dynamique entre le MA-AI et le HYOSHI qui est déterminante pour l’intuition de la décision !
C’est le liant qui va huiler tous les rouages de la technique et de la tactique et donner cette impression d’intelligence de jeu, de fluidité lorsque le judoka agit au bon moment. C’est vraiment l’expression, l’accomplissement du principe « meilleure utilisation de l’énergie physique et mentale ».

Juillet 2003