UNE EXPÉRIENCE VÉCUE

(avec l’aimable crédit de la revue lespritdujudo.com. Chronique parue dans l’EDJ 93)

Des circuits d’entrainement spécifiques à la pratique enrichie des UCHI KOMI.
Prendre le temps de poser les base.

Dans une chronique précédente (EDJ92 – article de notre médiathèque ici), j’ai expliqué globalement en quoi les circuits d’entraînement spécifiques et intégrés pouvaient être un outil intéressant dans le but d’enrichir la formation des jeunes judokas, en expliquant qu’ils permettent de rentabiliser le temps que consacrent les jeunes à la pratique, en couplant le développement des qualités physiques et des habiletés techniques, plutôt que de les entraîner de manière isolée. Je vous disais aussi que c’était une excellente approche pour enregistrer des progrès utiles à long terme.

Je vous proposais en illustration un circuit qui était une matrice, c’est-à-dire une base de départ, à mi-chemin entre apprentissage, perfectionnement et entraînement. Tout ceci peut paraître abstrait, posé sur le papier. Mais je vais maintenant vous parler de l’expérience menée avec Éric Rousselle et Cherif Kerkaden, qui enseignaient le judo aux enfants au Judo Club de Sucy-en-Brie. Mon fils, Nicolas, a eu la chance de les avoir comme professeurs, de l’âge des poussins jusqu’en cadets. Ils ont formé toute une génération de jeunes judokas qui sont devenus ceintures noires, et la plupart d’entre eux continue à pratiquer le judo.

C’est avec ces jeunes de Sucy que nous avons mené à bien pendant quelques années (2003-2006) l’idée posée au départ comme une expérience de transmission, de rapprocher les circuits d’entraînements spécifiques et inté grés, essentiellement basés sur les « Habiletés Techniques Fondamentales » (tsugi-ashi, tai-sabaki, hikidashi…) du perfectionnement des uchi-komi. Pourquoi ? Parce que si les uchi-komi sont considérés comme une base fondamentale de l’amélioration du geste technique, nous observions, dans le même temps, les jeunes judokas à l’entraînement, les minimes notamment, en faisant le même constat que beaucoup de professeurs : les uchi-komi étaient plutôt mal compris et mal exécutés et la motivation des jeunes judokas pour répéter et s’exercer avec ces outils n’était pas énorme…

UNE EXIGENCE : LE GESTE JUSTE

Il ne s’agissait pas de simplement s’entraîner pour améliorer la condition physique. L’objectif était d’améliorer à terme la technique, l’attitude, le comportement de ces jeunes judokas. Nous avions une exigence, insistions pour que chaque mouvement, chaque exercice soit pratiqué de manière cohérente. Nos expériences et nos analyses convergeaient : lorsque les mouvements de base ne sont pas cohérents, on a beau coacher les jeunes et intensifier l’entraînement, en mettant du rythme, en étant plus dynamique… ça ne fonctionne pas très bien. On finit par dépenser beaucoup de temps et d’énergie pour un résultat plutôt décevant.En revanche, en observant les benjamins et les minimes alors qu’ils découvraient les exercices du circuit (la matrice) présentés dans la chronique précédente, nous avons rapidement constaté que les mouvements de base (comme tsugi-ashi et tai-sabaki) leur étaient très accessibles.

Il suffisait de prendre le temps de bien les expliquer, d’être très progressif au début afin que les jeunes adoptent une bonne attitude et se sentent à l’aise lors de l’exécution des mouvements. Dès lors, les progrès en termes de coordination devenaient rapides. En proposant ces « HTF » dans un circuit, les exercices prenaient un caractère ludique, sous forme de petit challenge et c’était pour les jeunes une donnée importante du plaisir pris à l’entraînement…

Aller vers les UCHI-KOMI

Pour maîtriser plus efficacement le principe des uchi-komi et leur bonne exécution, l’approche consiste simplement à rapprocher, à créer des liens entre les exercices utilisés dans les circuits et la pratique des exercices d’uchi-komi. Autrement dit, on essaie, par la pratique d’Habiletés Techniques Fondamentales, comme le « tsugi-ashi » par exemple, de faire rapidement un lien avec la pratique des uchi-komi, ce qui permet de comprendre l’utilité du geste, l’avantage que l’on acquiert lorsque l’on perfectionne ce mouvement de base (voir les deux vidéos suivantes).

Pour synthétiser, nous avons cherché à la fois à rendre plus réaliste et à dynamiser les uchi-komi en les couplant à des déplacements, et à les diversifier afin d’améliorer la « capacité coordinative » de ces jeunes judokas, et aussi de maintenir un fort niveau d’engagement cognitif de leur part. La variété des coordinations engendre le plaisir de faire, elle permet de nuancer les actions et enrichit les sensations en retour, ce qui va avoir un impact positif sur la motivation. Cette approche éloigne le spectre de la monotonie des uchi-komi de pure répétition – un geste utile dès lors que le judoka est confirmé et apte à se concentrer sur la qualité de chaque geste répété – mais qu’il vaut mieux aborder d’abord sous forme de séquences plus variées, et en même temps plus précises, puisque la bonne exécution du geste proposé devient le sujet sur lequel les élèves se concentrent.


Pour enrichir et complexifier progressivement les exercices, les circuits, les uchi-komi :

  • on diversifie les appels, les reprises d’appuis, les déplacements
  • on favorise les changements de rythme
  • on joue avec les variations de la distance
  • on ressent l’accélération dans le mouvement
  • on introduit des changements de directions (en réponse à un signal)

Si vous vous voulez en savoir plus, comprendre plus précisément comment diversifier les formes d’uchi-komi, je vous propose une série de vidéos comme exemples. Ce travail a aussi fait l’objet d’une présentation au sein de la promotion BEES 2e degré de l’Institut du Judo (2005 – 2006 – 2007) et elle a été filmée (en qualité amateur, hélas) au stage de Crozon.

Vous verrez comment, à partir du circuit 1 (la matrice), le professeur peut complexifier chacun des exercices du circuit. Lorsqu’on a pris le temps d’automatiser les mouvements de base (ex : tsugi-ashi), le coût attentionnel pour effectuer la tâche diminue. Il devient donc plus aisé de porter son attention sur les actions de feintes, d’ouverture, de préparation de l’attaque à l’aide des bras. Cela complexifie aussi la relation au partenaire, puisque celui-ci va réagir à ces actions. Tori ne se contentera donc pas de répéter des cycles de mouvements comme un robot. Même s’il s’agit d’un simple « pas-chassé » , il devra percevoir le rythme, la réactivité de son partenaire et ajuster ses mouvements (ses entrées), de manière cohérente. Même un simple « tsu-gi-ashi » peut et doit être répété dans une logique d’interaction, de communication motrice avec le partenaire. Ainsi les uchi-komi ne sont jamais des mouvements répétés à vide.Ils deviennent des exercices chargés de sens. Le corps et l’esprit s’unissent – la tête et les jambes – pour parvenir à un niveau d’entraînement à chaque fois excellent. C’est bien le sens, l’enjeu, la définition de l’entraînement cognitif.

Maître Awazu disait que, pour bien faire un mouvement, il fallait en avoir une image dans sa tête, une représentation mentale. Kiyoshi Murakami, mon entraîneur pendant plus de dix ans, répétait souvent : « faire une série de dix uchi-komi parfaitement, c’est déjà très difficile » et, pour le nage-komi, c’est encore plus utile… Améliorer tôt le « désir de geste juste » de nos jeunes élèves est une mission. Si l’on conçoit la formation du jeune judoka sur le temps long, un continuum de six à vingt ans, par exemple… On n’a pas besoin de se précipiter, ni de brûler les étapes. Commençons plutôt par faire les choses lentement, progressivement, afin d’être bientôt en mesure de bien les faire. Ce n’est pas synonyme d’ennui, bien au contraire.

Quand la proposition varie et que le jeune pratiquant se sent sollicité, a une meilleure conscience de ce qu’il est en train de maîtriser. À quoi bon, répéter des centaines de fois un mouvement incohérent ? À quoi bon automatiser des coordinations ou des réactions illogiques et qui s’avéreront plus tard contre-productives ? Pourquoi ne pas se donner la liberté, et même le confort, d’une vision, d’un projet de formation des jeunes judokas sur le moyen et le long terme ? Cela semble pourtant si logique et séduisant de concevoir la formation des jeunes judokas de cette manière… Dans l’expérience décrite ici, nous pouvons dire avec le recul des années qui ont passé, que tous nos jeunes judokas ont beaucoup progressé, aussi bien ceux qui étaient motivés par la compétition, que ceux qui l’étaient moins et même ceux qui ne l’étaient pas du tout. Et, cela mérite d’être répété, la plupart sont toujours judokas et profitent des bases de qualité qui leur ont été données de cette façon.