En introduction, notre ami Yves Cadot nous a préparé la traduction de textes de Jigoro KANO sur les Ukemi.
Au-delà de l’aspect pratique, les chutes sont d’un grand intérêt dans la formation morale et psychologique du pratiquant.
Perdre avant de gagner
Chacun sait que l’apprentissage du judo débute (ou devrait débuter) par celui des chutes. Dans quelle autre discipline apprend-on à perdre avant de gagner ?
Au judo, avant de faire chuter l’autre, on apprend à chuter soi-même. Le message au débutant est clair : vous allez devoir perdre avant de pouvoir gagner. Aussi est-il important que la chute soit intégrée dès le début et devienne naturelle, afin qu’elle ne soit pas vécue comme un traumatisme, ni physique, ni psychologique.
L’apprentissage est possible grâce à la chute
La chute est en fait au cœur de notre mode d’apprentissage, (il n’en a pas été toujours ainsi cf. écrit de Jigoro Kano) qui procède par essai et erreurs surmontées. C’est en répétant la technique et en la subissant en retour, donc en chutant, que l’on va finir par se l’approprier.
Une mise à mort
La chute a une symbolique extrêmement forte. C’est une mise à mort ritualisée. De tout temps le vainqueur terrasse son ennemi en le projetant à plat ventre ou à plat dos. C’est sans doute pour cela que la défaite est-elle ressentie si profondément, notamment par les jeunes enfants qui peuvent être difficiles à consoler. À l’inverse, accepter la défaite, s’en nourrir pour progresser, forge le caractère.
La chute, leçon de vie.
En apprenant à chuter on apprend également (surtout ?) à se relever. L’échec n’est pas une fin, c’est une étape transitoire dans la progression. Là encore le message, même s’il n’est jamais formulé explicitement, est clair. La vie n’est-elle pas une succession d’échecs surmontés et de victoires éphémères ? Bien sûr, plus on progresse et moins l’on chute, mais il arrive à toute ceinture noire de se faire surprendre par un débutant et tout champion est conscient de la fragilité de son piédestal.
La chute et l’efficacité
La chute permet également « la preuve par neuf ». Le judoka est quelqu’un de très pratiquo- pratique. Si ça marche, ça fait tomber. Toute théorie doit passer l’épreuve des faits. Cette conviction a ses vertus et ses limites l’âge venant, mais permet au jeune « Padawan » de ne pas s’égarer dans les méandres de la théorisation et des faux-semblants.
Sans chute, pas d’efficacité prouvée, maître mot de notre discipline. En supprimant les risques de blessure, la chute permet un engagement total là ou d’autres pratiques s’imposent des limites, ce qui, en retour, induit la suspicion. Ce coup qui s’est arrêté à 2 cm du visage, aurait-il été vraiment efficace ? En judo rien ne peut relativiser le IPPON.
La non-violence
La chute a transformé un jujutsu, potentiellement violent, en une pratique non-violente. Qu’est ce qui rend un combat de boxe, de full-contact, ou même un match de football, violent. C’est, à mon sens, qu’il arrive un moment où le jeu régulé se transforme en agression physique. La violence, c’est le non-respect de l’intégrité physique de l’autre. C’est vouloir lui faire mal. En judo il est possible de projeter très violemment sans violence aucune, c’est-à-dire sans aucune volonté de nuire, ni risque de blesser. C’est d’ailleurs pour cela que des techniques dangereuses sont régulièrement interdites, alors qu’il ne viendrait à personne l’idée d’interdire les uppercuts sous le prétexte qu’ils peuvent altérer de manière durable la physionomie du boxeur (et laisser quelques séquelles irréversibles…).
Chute et confiance
Enfin, la chute autorise la confiance, en soi, et en l’autre. Accepteriez-vous qu’un inconnu vous soulève et vous projette avec force à terre ? Sans doute pas. Il faut pour cela avoir confiance dans sa propre capacité à se réceptionner mais également confiance dans la volonté de l’autre de contrôler la projection. En fait, la confiance qu’accorde UKE induit une forte responsabilité chez TORI. « Je vous prête mon corps, merci de me le rendre en bon état ! »
En donnant sciemment aux chutes une place centrale dans la pratique Jigoro Kano a offert à l’enseignant un puissant outil pédagogique.